Catherine Romand, rotinière et vannière d'art, tresse la matière
L'événement international des Journées européennes des métiers d'art (JEMA) est dédiée à la valorisation de ces métiers. La 19ᵉ édition s'achève ce dimanche 6 avril 2025. L'ouverture des ateliers d'artisans et des établissements de formation permettent au grand public de découvrir les coulisses de ces métiers souvent méconnus, comme celui de Catherine Romand, rotinière et vannière d'art. Elle a été récompensée par le prix Liliane-Bettencourt dans la catégorie « Dialogues » pour son œuvre Tresser l'ombre, une ombrière préparée en osier, conçue en collaboration avec la designer Clémence Althabegoïty. Une association audacieuse, tournée vers l'avenir. « La vannerie, c'est aussi un art de vivre. Parfois, je n'ai pas de week-end, je travaille jusqu'à 8, 10 heures et même des fois 11 heures, le soir. Mais il n'y a pas de contraintes. Nous avons une liaison avec la personne, le designer ou l'architecte d'intérieur, nous savons qu'elle attend et nous voulons surtout lui faire plaisir. Je suis capable de passer des heures comme cela. Par contre, quand je fais ce que j'ai envie d'avoir, que je travaille pour moi, je verrai, si cela plaît », explique Catherine Romand, rotinière et vannière d'art. « La différence entre l'osier et le rotin ? Je vais déjà l'expliquer, parce que beaucoup de gens ne le savent pas. L'osier, c'est le rejet de l'année du saule. C'est quelque chose que nous cultivons et c'est cultivé en France. Par contre, le rotin, c'est un palmier rampant qui vient forcément un petit peu d'Afrique, mais principalement d'Indonésie. Il y avait 40 000 vanniers au début du siècle dernier, puis 20 000 rotiniers. Et aujourd'hui, nous sommes peut-être trois rotiniers en France. Rotinière et vannière, je suis unique », poursuit-elle.Catherine Romand est née dans le territoire de Belfort, dans l'est de la France. Première femme diplômée de l'école de vannerie en ameublement rotin, elle a commencé sa carrière à 16 ans. Sa rencontre avec la matière a révélé sa dextérité manuelle et sa créativité : « J'ai tellement fait de vannerie. Quelque part, il manquait quelque chose dans mon âme. Donner de l'âme sur des formes extrêmement pures. Je suis plutôt partie un peu sur les lignes pures. La vannerie, c'est quelque chose que vous voyez, qui fait partie de votre vie, qui peut se mettre un peu n'importe où, qui a sa présence. Mais ce n'est pas la pièce principale. Les sculptures, il faut que ce soit la pièce principale, parce qu'il y a tellement de couleurs, de mouvements. C'est un peu comme une peinture. Des lignes pures, c'est quelque chose qui donne la matière noble de l'osier pour moi, mais qui s'intégrera partout et qui fera de toute façon du bien à tout le monde. Pour moi, c'est cela, reprendre des points de travail très anciens par exemple, et qui arrivent à faire quelque chose de très contemporain. J'adore cela. »Avec plus de 40 ans d'expérience, Catherine Romand est reconnue pour ses pièces uniques, allant de créations utilitaires à des sculptures monumentales avec des techniques ancestrales. « Si vous êtes vannier, vous lisez. Un panier, c'est comme un livre. Une sculpture, c'est comme un livre. Vous regardez la pièce et vous savez comment c'est construit et vous pouvez reproduire. Mais tout ce qui est travail cousu, c'est déjà une utilité qu'il y a en ameublement-rotin. Nous avons des points de travail qui sont en correspondance avec la vannerie japonaise. J'essaye de ne pas m'inspirer des autres. Je peux lire ce que je sais faire. Alors, je vais faire à l'identique ce qui existait ; ce qui a été fait pour les autres, mais je n'y mets pas mon nom. Nous avons retrouvé les mêmes techniques dans des vestiges archéologiques. Ils utilisaient déjà les mêmes points de travail. Je n'ai pas inventé du tout de point de travail. Je modifie les formes et les volumes en utilisant le savoir-faire. Je ne suis pas quelqu'un qui invente des points de travail. J'en ai faits, j'en ai développés. Mais à l'origine, je le dis, les hommes en peaux de bêtes, ils les avaient déjà. »En tant que femme dans un métier historiquement exercé par les hommes,Catherine Romand insuffle unedimension de mouvement, légèreté et féminité à ses créations : « Par exemple, j'ai fait de la danse classique. Mes sculptures, ce sont des danseuses, mais ce n'est pas du tout figuratif. Ce sont des mouvements de danse, comment le corps se met... Et j'arrive à le faire en sculpture. Lors d'expositions, des gens venaient caresser les hanches et le bas du dos alors que ce n'était ni hanches, ni bas du dos. Je ne sais même pas s'ils ont vu que c'était une femme, parce que ce n'est pas du figuratif ! Dans tout ce que j'ai appris en vannerie pendant mes 25 premières années, j'ai voulu mettre de la féminité, de la rondeur, trouver quelque chose qui ramène beaucoup de féminité. »La rotinière-vannière d'art travaille l'osier et le rotin, des matériaux vertueux, durables et capables de répondre aux défis environnementaux. Catherine Romand cultive son propre osier, afin de garantir la qualité de sa matière première : « Nous ne sommes jamais mieux servis que par nous-même. Quand je travaillais dans l'usine à paniers, il fallait passer ''coopérateurs''. Les coopérateurs cultivent de l'osier. Il est bien plus facile d'avoir sa matière première que d'en chercher quand il n'y en a pas. Quand vous avez quelqu'un qui vous commande quelque chose et que vous n'avez pas l'osier, vous êtes obligés d'aller le trouver, et ce n'est vraiment pas si facile. C'est notre dernière année de culture, mais il y a un jeune de 34 ans qui prend la relève. Et j'ai même acheté du terrain en plus pour qu'il s'agrandisse, parce que lui n'est pas vannier. Il va faire la culture, mais cela fait déjà des années qu'il travaille avec nous. Nous cédons des terrains en pleine production. C'est génial, nous savons que nous en aurons toujours. »Former les nouvelles générations est l'un des défis que représente la passation de ce savoir-faire traditionnel. Impliquée dans la transmission, Catherine Romand forme de jeunes artisans et songe à aller plus loin : « Je peux vous parler de cela. Mon petit rêve à moi, c'est de monter une formation complémentaire de ceux qui ont eu les fondamentaux, pour aller plus loin : "Tu as cela à faire, comment fais-tu ? Comment tu fais ton gabarit ? Où est-ce que tu vas mettre ? Pourquoi tu enlèves cela ? Pourquoi tu vas serrer les montants à ce moment-là ? Ou pourquoi tu les prends plus larges parce que tu refermes ?'' J'ai vraiment envie d'apprendre aux autres. Quand nous commençons quelque chose de précis, il faut toujours penser comment nous allons finir. Pour une sculpture, je ne le fais pas parce que je ne sais pas où je vais. L'osier, c'est géant. »Avec son ombrière tressée en osier, la vannière Catherine Romand et la designer Clémence Althabegoïty ont uni leur savoir-faire pour imaginer un objet aussi futuriste que poétique et qui a obtenu le prix Liliane-Bettencourt pour l'Intelligence de la Main « Dialogues » 2024. Une belle récompense pour Catherine Romand : « Magnifique ! Ce prix, c'est waouh, parce qu'il y a plein de prix qui sont égarés, et celui-là, il ne l'est pas. Pour moi, de l'avoir, ce n'était pas possible ! À force de dire ''non pas la vannerie, pas la vannerie'', mais c'est fait ! Mais merci, merci pour la vannerie. Franchement, je ne saurais pas trop que dire de plus. Enfin, vous retrouver devant des gens qui respectent votre métier, votre savoir-faire, cela fait plaisir. »Dans un monde où l'artisanat se heurte à la production de masse, Catherine Romand redéfinit la vannerie en mêlant techniques traditionnelles et esthétique contemporaine. De la simple corbeille aux sculptures monumentales, ses créations témoignent d'une maîtrise exceptionnelle de l'osier : « Vous arrivez le matin dans votre atelier. Vous commencez quelque chose, vous n'avez rien. Vous avez juste des brins d'osier. Et là, vous commencez. Le fond. Les montants. Et c'est fini. Je peux démarrer quelque chose sans savoir comment je vais finir. Et c'est génial. Je fais des sculptures qui font jusqu'à 2,80 mètres de haut. Je commence. Puis, au bout d'un moment, des fois, je peux partir pendant une demi-heure parce que je vais me faire un thé, il faut que je me pose. Je regarde et là, j'ai compris. La forme est faite dans le tressage, elle n'est pas faite avec un coup de genou mis dedans pour le tordre, parce que l'osier n'est pas extensible. Si vous voulez creuser quelque chose, il faut l'emmener dans le tressage. Mais il faut savoir comment votre osier va vous y emmener. »« C'est toute une harmonie, mais c'est un truc. Cintrer l'osier avec les mains pour qu'il prenne le mouvement. Il revient, il faut le maintenir. C'est le tressage, c'est l'entrelacs qui va réussir à le maintenir là où vous voulez qu'il soit. Vous l'assouplissez pour qu'il aille là où vous voulez qu'il aille, et puis, vous le poussez tout en travaillant. C'est comme cela que nous arrivons à faire des formes, à monter sur des hauteurs que nous voulons. Enfin, que nous pouvons, car l'osier a ses limites de hauteur. »Retrouvez tous les épisodes de 100% Création sur : Apple Podcast Castbox Deezer Google Podcast Podcast Addict Spotify ou toute autre plateforme via le flux RSS.